Jocelyne Berchel, chargée du social à la Croix-Rouge, et Marie-Christine Janot, son adjointe, nous ont accordé une interview sur les actions et les missions sociales de l’organisme.
SMW : Comment fonctionne la délégation de la Croix-Rouge française de Saint-Martin ?
J.B. : Je suis bénévole à la Croix-Rouge depuis une dizaine d’années et chargée du social depuis 2008. Nous fonctionnons avec une équipe de plusieurs bénévoles. L’organisme compte plusieurs volets dont le secourisme et l’action sociale. Concernant l’action sociale, elle concerne essentiellement l’accueil des familles. Nous sommes à l’écoute des familles en difficulté qui sont dirigées vers nous par les assistantes sociales. Toute famille accueillie ici a dû rencontrer une assistante sociale afin d’étudier sa situation familiale, financière et professionnelle. Ensuite, les personnes viennent nous voir avec une fiche de liaison. C’est avec cet outil qu’on travaille. Il retranscrit l’historique social de chaque personne, sa situation, et nous permet de fournir soit une aide alimentaire, soit une aide vestimentaire. Parfois, nous recevons des demandes financières, mais au vu de la situation actuelle, nous ne pouvons pas y répondre. Toute la difficulté vient du fait que nous travaillons tous en journée. Nous ne bénéficions plus du secrétariat le contrat étant terminé, et vu que nous sommes en plein renouvellement du bureau, nous ne pouvons pas encore embaucher une secrétaire. Nous avons donc une permanence trois jours par semaine, à raison de deux heures par jour, et la « Vestiboutique » est ouverte deux heures le samedi matin.
Quid de la Vestiboutique ?
J.B. : La Vestiboutique est une de nos actions proposées aux familles. Nous avons trois ou quatre bénévoles chargés de distribuer les vêtements. Et nous avons aussi un vestiaire réservé aux usagers sans abri de proximité qui bénéficient des prestations de jour du Manteau de Saint-Martin. le vestiaire est une activité traditionnelle de la Croix-Rouge française qui met à la disposition des plus démunis des vêtements en bon état, triés par nos bénévoles. La partie Vestiboutique permet à chacun d’acheter des vêtements à bas prix pour eux-mêmes et pour leurs enfants. La boutique fonctionne grâce aux dons des particuliers, mais aussi grâce à certains magasins qui donne des vêtements qui ont de petits défauts. Nous avons une couturière bénévole qui se charge de les raccommoder. Tous ces articles sont vendus entre 1 et 10 euros.
Quelles sont les actions menées sur le terrain ?
J.B. : Les actions sociales que nous mettons en place recouvrent notamment les braderies que nous faisons dans l’année avec l’Association des commerçants de Marigot. Nous nous intégrons à leur braderie et avons un stand réservé. Nous organisons aussi des collectes alimentaires, deux fois dans l’année, mais nous achetons de l’alimentaire en plus pour compléter. En effet, le public nous fait souvent don de pâtes et de riz en grande quantité, mais cela ne suffit pas. Nous devons donc compléter avec le quota réservé à l’achat des aliments. Pour ces collectes, nous prévenons les supermarchés partenaires en avance, afin qu’ils commandent en plus pour la collecte pour ne pas désorganiser leurs rayons. Nous avons également notre quête nationale qui a lieu une fois l’an et nous permet d’obtenir des fonds à dépenser dans l’année. Mais ces quêtes nationales sont de plus en plus réduites par les temps qui courent. Enfin, nous avons les maraudes qui se font le soir, une fois par mois. Là, nous allons à la rencontre du public sans abri et nous circulons dans les secteurs de St. James, près de la marina et à Agrément. Lors de ces maraudes, nous assurons une distribution alimentaire, ainsi que des boissons chaudes et froides et des kits hygiène pour homme et femme. Nous avons récemment reçu 300 kits qui nous permettent de fournir des produits de toilette pour hommes et femmes. Nous rencontrons en moyenne vingt à trente personnes lors de ces maraudes et nous passons en moyenne trois heures sur le terrain. Nous posons quelques questions aux personnes que l’on rencontre. Cela nous permet de trouver des pistes pour les aider et les orienter.
Puis nous discutons des personnes rencontrées, de ce qui leur a été distribué, des besoins des personnes rencontrées… Ces personnes sont parfois dirigées, soit pour les inviter à prendre une douche à la Croix-Rouge, soit pour leur permettre de changer leurs vêtements régulièrement. A côté de cela, nous menons des actions ponctuelles pour égayer un peu le quotidien des familles (fête de Noël, soupe populaire, crêpes à la Chandeleur, etc.).
Combien comptez-vous d’usagers ?
J.B. : Nous avons une centaine de bénéficiaires et gardons des fiches pour avoir une traçabilité des personnes qui viennent, de ce qu’on leur donne et de leur régularité. A partir d’un certain nombre de fois, elles doivent repartir voir l’assistante sociale qui va réévaluer leur situation car l’aide n’est pas permanente. Il s’agit en effet d’aides ponctuelles pour que ces personnes retrouvent une certaine autonomie. Il y en a parfois qui viennent toutes les semaines, mais nous ne pouvons pas accéder à toutes leurs demandes. Si c’était le cas, nous devrions fermer. Nous donnons un panier alimentaire par mois. Sur chaque fiche figure le nom, la date de naissance, la composition familiale, le nombre d’enfants et de bébés, ce qui nous permet de faire le panier car il y en a de plusieurs types. Seul bémol : nous ne fournissons plus de lait infantile car cela nous revenait à 2 000 euros par mois, un budget trop conséquent par rapport à notre budget alimentaire. De plus, la PMI devait le faire.
Quel changement souhaiteriez-vous voir dans le fonctionnement de l’organisation ?
M.-C.J. : Nous aimerions que la population réagisse avec plus de dons alimentaires. Ailleurs, on voit beaucoup de dons alimentaires, mais à Saint-Martin, nous devons les provoquer au moyen d’une collecte. Nous recevons beaucoup de vêtements, alors que l’alimentaire est bien plus important. Lors de la journée du refus de la misère en octobre, nous avions mis en place une permanence pour cela mais nous n’avons rien reçu. Pourtant, les gens sont généreux, car lorsqu’il y a une collecte alimentaire, on nous donne beaucoup de choses. Le problème, c’est que quand on court toujours après l’essentiel, c’est-à-dire l’alimentaire, on a du mal à construire des plans d’action. Il faut toujours veiller à la survie. Alors que nous avons d’autres idées en tête et d’autres missions à accomplir (maraudes de jour, recherche de bénévoles, etc.). Cela prend du temps et nous n’y arrivons pas.
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous ?
J.B. et M.-C.J. : Il nous faut nous occuper de beaucoup de choses, nous en devenons des assistantes sociales. Il y a les sans-abri qui dorment un peu où ils peuvent car le Manteau n’a qu’une faible capacité d’accueil. Il n’y a donc aucune structure pour eux, aucun lieu d’hébergement provisoire. Il faudrait au moins les mettre à l’abri la nuit, car il y a des bagarres, des vols, des viols, etc. Nous bougeons beaucoup avec eux, nous essayons de les remettre sur les rails, sauf s’ils ont une grosse addiction. Dans ce cas, nous les redirigeons vers les Liaisons dangereuses. Nous ne sommes pas là pour juger, nous accompagnons, nous essayons d’améliorer, de les réinsérer… quand ils sont volontaires ! Nous tentons aussi de trouver le petit truc qui pourra leur redonner confiance en eux. Nous avons accompagné beaucoup d’usagers, certains sont même partis en Guadeloupe en cure de désintoxication. Mais il faut parfois aussi les surveiller, notamment quand ils ont des rendez-vous et veiller à ce qu’ils y aillent. Par ailleurs, certains usagers sont en situation irrégulière, alors il faut suivre les procédures, intervenir de temps en temps auprès de la préfecture pour savoir où en est leur dossier, etc. Car tant qu’ils n’ont pas de papiers, ils n’ont droit à rien. Ils rament pour obtenir ne serait-ce qu’un titre de séjour. Et nous avons tellement peu de moyens qu’on ne peut pas toujours satisfaire les besoins même si les assistantes sociales de la COM les orientent vers nous…
Comment avez-vous vu évoluer la situation à Saint-Martin ?
J.B. : Au début des années 2000, nous étions six bénévoles sans local et ne disposions que d’une pièce où l’on collectait et entreposait les vêtements. Il nous fallait louer des salles pour organiser nos actions. Plusieurs années plus tard, nous avons eu deux salariés ce qui nous a beaucoup aidés. Mais la misère est clairement en augmentation, à Saint-Martin comme partout, et d’une dizaine d’usagers à nos débuts, nous sommes passés à une centaine de personnes qui viennent vers nous. Mais il y en a beaucoup d’autres qui sont dans la rue et qui n’osent pas franchir le pas.